Euro et pouvoir d'achat : démêlez le vrai du faux

La monnaie unique européenne fête ses 20 ans en 2019. Pour nombre de ses détracteurs, le passage à l'euro a été à l'origine d'une flambée des prix. Mais l'adoption de cette monnaie a-t-elle vraiment nui au pouvoir d'achat des Français ? Pour le savoir, nous vous proposons de démêler le vrai du faux, statistiques à l'appui.

Est-il vrai que les prix ont augmenté ?

Depuis le passage à l'euro en 2002, beaucoup de Français s'interrogent, voire s'inquiètent, de l'évolution de leur pouvoir d'achat au quotidien.

Pour calculer l'impact de la monnaie unique sur le pouvoir d'achat des Français, le meilleur indicateur reste l'évolution des prix, c'est-à-dire l'inflation.

L'Insee, qui a publié une étude sur l'effet de l'euro sur l'inflation entre 2002 et 2016, indique que la devise européenne n’a pas fait augmenter les prix.

Au contraire, elle aurait même permis de ralentir l’inflation, plus forte à l’époque du franc.

Selon l'Insee, entre 1986 à 2001, l'inflation était de +2,1% par an. Mais entre 2002 et 2016, soit après l’arrivée de l'euro, la hausse moyenne des prix en France a été de +1,4% par an.

C’est une inflation nettement inférieure à celle constatée de l’après-guerre au milieu des années 1980, période où l’inflation atteignait... 10,1% par an en moyenne !

Pourquoi le ressenti des Français est-il différent ?

Sur le papier, le passage à l’euro n’aurait donc pas nui au pouvoir d’achat des Français. Mais, malgré ces statistiques, de nombreux Français, voire la majorité d’entre eux, s'imaginent tout l'inverse.

Alors, d’où vient ce décalage entre la réalité de l’augmentation des prix et la perception, par les gens, de l’évolution de leur pouvoir d’achat ?

En 2002, au moment de l’arrivée de l’euro dans nos porte-monnaie, cet écart entre "inflation perçue" et "inflation réelle" s'est largement creusé.

Cela s’explique par plusieurs facteurs :

=> en 2002, les commerçants ont pratiqué des arrondis au détriment des consommateurs quand il a fallu convertir en euro un prix rond exprimé en francs, comme ceux d’une baguette de pain ou d’un café par exemple

=> les ménages accordent plus d’importance aux prix en hausse qu’aux prix en baisse ou stables, car ils y voient une menace pour l’équilibre de leur budget

=> les consommateurs concentrent leur attention sur les produits qu’ils achètent souvent, comme le sucre, le café, le pain. Or, les prix de ces produits de première nécessité ont effectivement augmenté ces vingt dernières années (contrairement à d’autres biens comme l’électroménager, dont le prix a beaucoup baissé)

A noter : on entend parfois dire que le prix de la baguette a bondi depuis l'arrivée de l'euro. Si l’on se fie aux chiffres, cette affirmation est exagérée. En février 2018, la baguette coûtait en moyenne 0,87 centimes, contre 0,66 centimes au passage à l'euro en janvier 2002. En fait, le prix du pain a connu une augmentation constante qui était déjà amorcée... bien avant l'arrivée de l'euro !

Les chiffres mentent-ils ?

Le gouverneur de la Banque de France s’est récemment félicité de la hausse du pouvoir d’achat depuis vingt ans. Pourtant, le mouvement des gilets jaunes, déclenché par la hausse des prix du carburant, prouve bien que le ressenti de certains Français est complètement différent.

Qui se trompe ? Personne. S’il est vrai que l’inflation est restée modérée entre 2002 et 2016, les statistiques "moyennes" cachent des disparités.

Dans la même période, les dépenses contraintes ont augmenté, notamment les dépenses liées au logement (loyer, électricité, gaz, eau) et les abonnements (assurances, téléphonie, télévision, Internet).

Selon l’Insee, le poids de ces dépenses est passé de 13% environ du revenu disponible dans les années 1960, à près de 30% en 2016.

Or, les Français les plus touchés par cette augmentation sont les ménages les plus modestes : la part des dépenses préengagées dans le revenu disponible des ménages est de 61% pour les ménages pauvres, contre 23% pour les ménages aisés, selon une étude publiée en 2018 par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) du ministère des solidarités et de la santé.

Selon cette étude, les 10% de ménages les plus modestes, après avoir payé les factures, ne disposent que de 180 euros en poche, alors que les plus riches disposent de 1890 euros par mois.

L’alourdissement de ces dépenses, notamment à partir de 2003, a pu entretenir chez les ménages le sentiment d’un certain appauvrissement.

La France est-elle la grande perdante du passage à l’euro ?

Selon une étude allemande, publiée fin février 2019 par le Centre de politique européenne, les Français auraient perdu 56.000 euros par personne depuis le passage à l’euro.

Mais la méthode de calcul utilisée est jugée discutable par les économistes car, dans cette étude, la France est comparée... à l’Australie !

Mieux vaudrait comparer la France à des pays qui ont refusé l’euro, comme la Grande-Bretagne. Et, selon les économistes, on observerait alors à peu près les mêmes évolutions des prix dans les deux pays.

Selon l’économiste Éric Dor, directeur des études économiques à l’Iéseg (l’école de commerce de l’université de Lille) et auteur d’une étude sur la question, la France n’est pas la plus grande perdante depuis le passage à l’euro.

Elle se classe 10e sur 18 pays étudiés avec +1,07% de croissance annuelle moyenne du revenu disponible réel depuis l’entrée en vigueur de l’euro.

Sans surprise, elle a plus profité de l’euro que la Grèce (-0,41%), mais aussi l’Italie (-0,17%), la Belgique (+0,38%) et même l’Allemagne (+0,97%) !

En tête du classement, ce sont les derniers pays entrés dans la zone euro qui ont vu leur pouvoir d’achat augmenter le plus : la Slovénie (+1,75%), la Slovaquie (+2,42%) et les pays baltes (autour de 5%).


Pour en savoir plus sur l’évolution des prix depuis le début du XXe siècle, nous vous conseillons de tester le convertisseur proposé sur le site de l'Insee (lien ci-dessous).

Cet outil permet de comparer, sur la période 1901-2016, le pouvoir d'achat d'une somme en euros ou en francs (en corrigeant le résultat selon l’inflation observée entre les deux années comparées).